En tant qu’artiste, j’ai toujours été passionné et attentif à la notion de patrimoine culturel congolais. Malheureusement celui-ci est aujourd’hui en danger de disparition. Il n’existe quasiment aucune initiative pour la restauration de ce patrimoine culturel. Au contraire, celui-ci est souvent remplacé par une culture appauvrie, celle de la mondialisation implémentée lors de l’avènement de la colonisation. Cette culture nous a été imposée par le capitalisme global, qui régit la norme dans nos sociétés urbaines. Le questionnement contemporain sur le passé colonial ou sur les multiples identités africaines ont perdu leur place dans le discours. C’est de cette perte que naît le désir, tout comme la nécessité, de réaliser ce film. Il s’agit bien d’entreprendre une décolonisation mentale et structurelle, en essayant de déconstruire le regard colonial et en me réappropriant la responsabilité de raconter mes récits avec la forme la plus appropriée à la réflexion. Je ne suis pas les normes dictées par le cinéma classique.
Pourquoi le titre Mwana Pwo ?
J’ai choisi le titre Mwana Pwo en référence aux masques shopwe qui symbolisent la renaissance d’une culture. Dans le film, cette corrélation entre en résonance avec l’espace urbain actuel, habité par ce désir de restructuration des codes culturels et l’espoir de restauration du patrimoine congolais. Comme artistes, nous devons créer de nouveaux paradigmes, d’autres points de vue. C’est ainsi que j’ai choisi le titre; cela m’aide à traiter du sujet, qui est aussi métaphorique… Il s’agissait aussi de montrer que les masques restés au pays sont en réalité des copies, ils ne sont pas les masques originaux. Ici, aujourd’hui, nous ne possédons que de pâles copies falsifiées. Au contraire, les originaux, eux, sont présentés dans des musées en Europe. Mais nous sommes bien conscients que ceux-ci ont été pillés durant la colonisation.
Pourrais-tu revenir sur ton choix des plans séquences dans les rues de Goma ?
Le choix du plan séquence se révèle comme étant la meilleure forme pour créer une expérience immersive, où le spectateur est invité à une forme de déambulation dans l’espace par le regard. Il est aussi invité à créer sa propre interprétation des lieux. S’il est attentif, il saura qu’il traverse un espace rempli de mémoires transgénérationnelles et multiples, allant de l’Égypte ancienne en passant par l’histoire du Congo contemporain. Cette déambulation se fait aussi par l’ouïe, par une approche narrative (la voix off), qui a pour objectif de donner voix aux jeunes générations. Cette jeunesse a souvent une autre lecture de l’histoire, mais personne ne les entend. Ils n’ont pas d’espace pour exprimer leur point de vue, souvent controversé, de l’histoire, tout comme du moment contemporain.
Le récit à travers la voix off est une forme de sur-réalisme structurel. La narration et les images n’ont pas besoin de se refléter ou de coïncider. Le spectateur peut choisir quelques fragments de narration, qui entrent en résonance avec l’époque présente ou passée. Ces multiples narrations offrent une interprétation informelle, subjective, de notre histoire. Mwana Pwo propose une traversée d’un espace complexe, constitué de diverses mémoires, parfois traumatiques aussi. Le film offre, par le biais de la voix off, la possibilité de percevoir de nouvelles identités, hybrides.