« À la face du soleil et des aïeux, nous criions alors notre indépendance. Jeunes, insoucieux, ignorant le monde qui nous entourait. Nous ignorions les régions qui limitaient notre petit coin d’Afrique. Nous ignorions qu’il pouvait exister d’autres régions où des petits Noirs, des petits Jaunes, des petits Blancs jouaient, se débattaient dans d’autres fleuves. Et nous, nous avions notre Niger, notre soleil, notre forêt. C’était le bon temps, le temps du royaume des enfants… des enfants de toute la Terre ». À mesure qu’une voix off scande ces mots, se succèdent à l’écran des scènes d’enfants africains jouant joyeusement et ingénument. C’est sur ces images d’Afrique que s’ouvre Afrique sur Seine. Prennent place alors des images de la ville de Paris, les monuments imposants, écrasants, de la métropole coloniale. La caméra se balade et dévoile une diversité de situations et de portraits, les multiples facettes de la vie des Africains à Paris. En traversant cette « capitale de l’Afrique noire », le film introduit un questionnement sur la reconfiguration des cultures et des identités des femmes et des hommes africains vivant en Europe, sur la complexité de l’expérience migratoire et diasporique. « Paris, où sont donc les chemins en or de nos contes d’enfants ? » Le sort sur lequel les réalisateurs focalisent leur propos est aussi le leur. Paulin Soumanou Vieyra, par exemple, immigre en France à l’âge de 10 ans. Ce film est l’aveu d’un « Paris des jours sans pain. Paris des jours sans espoir […] Paris de la solitude compensée par la fraternité éternelle ». Afrique sur Seine est aussi une célébration de l’hybridité et du métissage culturel, loin des carcans raciaux et idéologiques : « Le monde, au Quartier Latin, s’assemble, s’assimile, pour essayer de fondre au soleil de l’amour, les antiques barrières de préjugés et de monuments de haine, afin de se rapprocher, afin de se comprendre, malgré les falsifications que les hommes ont faites de l’histoire des peuples justes. »
Prémices de l’histoire du cinéma africain, Afrique sur Seine dure environ 22 minutes. Sa réalisation a lieu tandis que le secteur du cinéma demeure encore sous le strict contrôle du système colonial. Toute critique anticoloniale est proscrite et réprimée. À cette époque, les représentations faites des Africains sont exclusivement le fait de la propagande coloniale et, dans une moindre mesure, des films ethnographiques, qui diffusent sur les écrans les stéréotypes dominants du regard colonial qui s’insinuent dans la conscience occidentale. Le décret Laval de 1934 interdit aux Africains de tourner dans leurs propres pays. Dans le courant des années 1930, les étudiants africains et antillais critiquent la politique assimilationniste française. La Négritude, le courant qu’ils mènent, porte leurs revendications et leurs aspirations à la reconnaissance de l’identité Noire africaine. Afrique sur Seine naît dans la suite de ce courant de revalorisation des cultures africaines. Dans le ressac de la Nouvelle Vague alors naissante, des cinéastes africains s’emparent de la caméra et la tournent vers eux-mêmes pour créer des images inédites, dignes et radicales, de la société et des cultures noires, qu’ils introduisent sur les écrans de cinéma demeurés jusque-là si exclusivement blancs.
Projection réalisée en collaboration avec la Cinémathèque Afrique / Institut français de Lubumbashi