Ce programme de projection en deux parties a été composé à l’occasion de la formation de Jamii ya sinema.club. Deux dispositifs seront explorés dans ce programme : une plate-forme en ligne dont la fonction première est de présenter des films et des vidéos ; un lieu à Lubumbashi durant la Biennale qui accueillera une projection de film et un débat public accompagnant. Deux œuvres d’images en mouvement ont été choisies pour répondre à ces espaces. Toutes deux proposent des enjeux esthétiques et politiques en lien avec les femmes noires et l’art et la culture qu’elles conçoivent.
Black Meme (2020) de Legacy Russell est une œuvre vidéo qui utilise une forme accélérée de montage et de collage pour examiner la circulation en ligne des mèmes reflétant la culture noire. En général, les mèmes se caractérisent par la vitesse de leur transmission et par leur viralité — en fait, quand on y pense : un mème est-il vraiment un mème s’il n’atteint pas un large public ? Dans cette vidéo Russell habite et explore le regard en ligne ; elle fomente une mimesis politique, pour ainsi dire. Black Meme a été créé dans le sillage du chef-d’œuvre d’Arthur Jafa, Love is the Message, the Message is Death (2016), qui a déclenché une explosion d’intérêt par sa juxtaposition complexe de clips vidéo trouvés en ligne explorant également la culture et la représentation des Noir.e.s. Alors que Jafa vient d’une tradition filmique et travaille davantage en mode cinématographique, Russell opère à partir d’une position inscrite dans les arts numériques — on peut situer sa vidéo dans le mode émergent du Desktop Cinema, une forme qui explore et utilise pleinement l’interface d’un ordinateur de bureau en tant qu’instrument médiatique multifonctionnel et environnement domestique. Un questionnement sur la technologie et son impact social, mais également sur la nature des identités mouvantes et des idéologies qui structurent les multivers en ligne, est au cœur du travail de Russell.
Conspiracy (2022) de Simone Leigh & Madeleine Hunt-Ehrlich est un film16mm qui a fait partie de l’ensemble exposé au Pavillon dédié à Leigh à la Biennale de Venise, qui lui a valu un Lion d’or. Leigh est une grande sculptrice qui a fait quelques incursions dans le travail de l’image en mouvement ; Hunt-Ehrlich est créatrice de films et professeure de pratique filmique. Son travail est très régulièrement projeté dans les festivals et les salles de cinéma. Les deux artistes s’intéressent avant tout aux femmes noires, à leurs manières d’exister et d’influencer le monde autour d’elles. Conspiracy présente en détail les deux artistes au travail dans leur discipline principale. Leigh apparaît réellement dans le film — on la voit élaborer ses majestueuses sculptures — alors que Hunt-Ehrlich reste en coulisse, ses mains invisibles exécutant mouvements de caméra et coupes avec élégance et détermination. C’est un film très tactile, autoréflexif (qui inclut un caméo de l’artiste renommée, Lorraine O’Grady). La production artistique est encore une fois au centre de ce travail — et atteint son apogée avec le feu purificateur, investi du pouvoir de créer et à la fois de détruire, que l’artiste fait apparaître, au gré de la fantaisie de sa co-conspiratrice.
Deux écrits accompagnent ces deux œuvres de l’image en mouvement et prolongent leurs desseins esthétiques et politiques:
« Le dualisme numérique et le manifeste du glitch feminism / Digital Dualism and the Glitch Feminism Manifesto » (The Society Pages/Cyborgology, 2012) est la première version de ce qui allait devenir le livre Glitch Feminism : A Manifesto (Verso, 2020) de Legacy Russell. L’essai original explore la glitch numérique comme point de rencontre entre la politique sexuelle et la pensée féministe à l’âge d’Internet. Il prend la forme d’un manifeste et tout en adoptant le potentiel euphorique et orgasmique de l’erreur informatique et humaine, il plaide pour que, dans l’éternel processus du devenir libre, la radicalité soit plus inclusive. Ce travail initial significatif est révélateur de la puissance et de la complexité de la pensée critique de Russell et s’ajoute à ses accomplissements remarquables en tant que curatrice et essayiste vidéo.
« Hand to Flame » (Three Fold, 2022) de Yasmina Price est une analyse nuancée du film Conspiracy. Cet essai fait partie d’un dossier spécial plus complet sur le film et ses influences (édité par Oona Mosna), qui inclut d’autres études de Price sur les artistes Inge Hardison, Zora Neale Hurston et Miryam Charles. L’essai de Price traverse les multiples niveaux du film pour en extraire des significations et des résonances plus larges en regard de l’histoire des femmes noires qui sont intervenues dans différents domaines de la création ou académiques. C’est le premier texte critique substantiel à offrir une compréhension profonde du film Conspiracy et de sa portée. Il est le fait d’une écrivaine d’art remarquable qui s’est consacrée à l’exploration de l’avant-garde noire et il a été publié par un jeune journal courageux (fondé et édité par Rebecca Mazzei) qui a eu la clairvoyance et la sensibilité requises de consacrer l’espace qui convenait au travail de ces artistes talentueuses et innovatrices.